De la Tunisie à la Suisse : récit d'une existence palpitante - COMM'une info n° 80
Lui qui est né et a grandi en Tunisie, c’est vers l’âge de 5 ans qu’il arrive dans notre pays pour la première fois. Il vient passer les vacances d’été à Berne, avec sa maman et ses trois frères et soeurs. Alors que le séjour ne devait pas dépasser quelques semaines, voilà qu’éclate la deuxième guerre mondiale. Nous sommes en 1939. Le jeune garçon et sa famille sont obligés de rester en Suisse, les voies d’accès à la Tunisie ayant été bloquées. « On m’a alors confié à une tante qui habitait une ferme dans le Jura bernois et qui avait, elle aussi, un fils, nous raconte Jean Wegmüller. À cette époque, c’était très courant. Ma maman ne pouvait pas s’occuper de nous toute seule. Nous avons tous été séparés. » Il demeurera chez cette tante jusqu’à la fin du conflit. « Je me souviens toujours du jour où les cloches ont sonné pour marquer l’arrêt des hostilités ».
Au sortir de la guerre, les voies de communication sont rétablies. En 1946, Jean, sa maman et ses frères et soeurs, retournent en Tunisie. Il y finira son école obligatoire avec, toujours dans un coin de tête, l’idée de retourner en Suisse. « J’avais donné ma parole que je reviendrais à la ferme. J’y avais noué des attaches et appris beaucoup de choses, même si tout n’était pas facile. Lorsque je suis arrivé là-bas, tout le monde parlait le suisse allemand. Il fallait aussi beaucoup travailler. »
Internat et porte-à-porte
Après deux ans comme garçon de ferme et une fois sa parole tenue, Jean Wegmüller part
à la recherche d’un apprentissage. Alors qu’il voulait devenir charpentier, le destin en décide autrement. Suivant Théodore, son frère aîné, son modèle comme il se plaît à dire, il entre dans un internat à Genève, tenu par une communauté religieuse. « Mon frère se trouvait aussi chez un agriculteur en Suisse. Il voulait devenir médecin missionnaire. Contrairement à moi, c’était un excellent élève. Je l’ai toujours suivi à la trace. J’ai eu une grande chance de l’avoir. » Grâce à son frère aîné donc, Jean Wegmüller poursuit ses études au sein de ce pensionnat : il y passe son baccalauréat. Durant l’été, tous les élèves sont envoyés en mission dans différents endroits de Suisse, et même en Corse pour ce qui concerne le jeune homme, à mi-chemin vers la Tunisie, pour faire du colportage et vendre des livres religieux. Une façon de gagner son argent de poche. « Une belle école de vie. Être derrière une porte, ce n’est pas facile. Il fallait de la ténacité », sourit le nonagénaire.
Début comme enseignant
Suivant à nouveau son frère, Jean Wegmüller s’inscrit par la suite à la Faculté de médecine de Lausanne. Il n’y fera pourtant qu’un trimestre. « Ce n’était pas pour moi », concède-t-il. Il enchaîne alors les boulots : à Henniez, comme ouvrier puis comme enseignant remplaçant auprès du bureau de placement de l’école publique à Lausanne, et après cela, à Versl'Eglise, dans les Alpes vaudoises. C’est alors qu’il décide de suivre une formation accélérée d’enseignant sur quelques mois. Durant cette période, il retourne en Corse pour y vendre des livres et y rencontre sa future femme, Mathilde. « J’avais attrapé une petite infection de la peau durant mon séjour et j’ai dû aller me faire soigner. C’est là que je l’ai vue. À ce moment-là, elle était infirmière », raconte-t-il non sans une certaine émotion.
Tous deux retournent en Suisse où ils se marient. C’est lorsque le couple réside à Blonay qu’émerge l’idée d’ouvrir une école privée. Jean y travaille comme instituteur au sein de l’école publique depuis plusieurs années déjà. « Une de mes belles-soeurs accueillait des enfants et cherchait des chalets pour les héberger. C’est là que l’idée a germé ; quelque chose qui vous dépasse », commente-t-il simplement. En 1966, il fonde, avec sa femme, l’École privée internationale Chantemerle que l’on connaît aujourd’hui. « Lorsque j’ai approché le propriétaire du terrain, il cherchait à vendre. Nous n’avions pourtant pas un sou.